Du manager évaluateur au manager développeur (extrait)
Pierre angulaire des politiques RH, l’évaluation est actuellement en pleine mutation. Outil de mesure de la performance individuelle des salariés, elle récompense traditionnellement les meilleurs d’entre eux par une prime, une augmentation du salaire et parfois par le titre mirifique d’employé de l’année. Analyse par Valérie Rocoplan, fondatrice de Talentis. Initialement déployées dans les grandes entreprises et à destination des populations cadres, les pratiques d’évaluation de la performance individuelle se sont étendues aux PME et à toutes les catégories de salariés. Pourtant, l’évaluation est de plus en plus critiquée, car jugée trop verticale, trop orientée vers la performance et dont les dérives ont causé beaucoup de dégâts auprès de salariés jugés à titre individuel (pas seulement sur leurs compétences). Censé répondre à des enjeux de reconnaissance, l’entretien d’évaluation est aujourd’hui pointé comme une source de stress. Un système d’évaluation qui ne répond plus aux nouvelles pratiques managériales
Un processus jugé trop rigide
L’évaluation des employés répond à des critères bien précis qui sont évalués en milieu ou fin d’année : un moment que les managers et les collaborateurs appréhendent souvent. Pour le manager, ce mode d’évaluation l’enferme dans un carcan culpabilisant où la rémunération et le “casier” du collaborateur sont en jeu. Les processus d’évaluation sont figés et sont perçus comme une contrainte de temps pour toutes les personnes impliquées (manager, RH, direction…). Par ailleurs, alors que les jeunes générations entrent massivement sur le marché du travail, leurs attentes sont grandes en matière de feedbacks réguliers et de reconnaissance. Sans parler de la flexibilité attendue par des collaborateurs de moins de 30 ans pour qui le contenu de leur poste et les relations interpersonnelles sont sources de motivation et d’engagement.
Une mesure partielle
De manière générale, les collaborateurs, tous âges confondus, sont lassés des entretiens annuels ou bi-annuels qui ne jugent qu’une partie de la réalité : les objectifs tangibles, les points faibles et forts, les chiffres, mais oublient tout le subjectif qui ne figure pas sur une fiche de poste. D’autant que dans un environnement professionnel en pleine mutation, le “travail pur” est devenu de plus en plus difficile à mesurer. Le relationnel, l’écoute, la réactivité, la capacité à gérer des crises … des soft skills qui ne peuvent être évalués quantitativement. L’engagement de la subjectivité, dans une économie des services qui croît chaque année et qui emploie plus de 20 millions de personnes en France (Source Insee 2010), nous semble impossible à juger sur une échelle chiffrée. Alors que l’entreprise top-down s’effrite peu à peu, que les collaborateurs sont amenés à travailler de plus en plus en format projet, et que le carburant de nos jeunes générations est le feedback positif, il semble que le système d’évaluation classique ne peut plus correspondre à l’entreprise d’aujourd’hui et encore moins à celle de demain. Dans l’article de Forbes “Est-il temps de mettre les évaluations de performance au rebut ?”, Josh Bersin mentionne plusieurs problèmes qu’il repère dans les processus d’évaluation annuelle : Les employés ont besoin et souhaitent des retours réguliers (quotidiens, hebdomadaires). Par conséquent, une évaluation annuelle arrive non seulement trop tard mais est souvent une surprise. Nous travaillons avec de nombreux responsables et collègues pendant l’année, aussi une seule personne ne peut pas vous évaluer correctement sans de nombreux retours de vos pairs. Les gens sont inspirés et motivés par des retours positifs et constructifs, alors que les processus d’évaluation ont souvent l’effet contraire. Comment donc rendre l’évaluation plus efficace et plus engageante ?
Le manager de demain est un manager développeur
Sortez de la rigidité du seul ou des deux entretiens d’évaluation de l’année et développez votre capacité à faire du feedback régulièrement. Dans des contextes de changement rapide et d’incertitude, cela permet aux équipes de s’ajuster et de rester agiles. Un manager développeur instaure ainsi au sein de son équipe une culture d’apprentissage et de remise en question forte. Incitant ses équipes à échanger, à faire leur autocritique, l’évaluation se fait tout au long de l’année, sur tous les projets, en continue et plus seulement à l’instant T. Il s’agit désormais plus d’échanges personnalisés avec tous vos collaborateurs plutôt que d’évaluation. Cela permet de prendre la température, de reconnecter les équipes au manager de proximité et de créer du lien. Commencez par demander ce qui va et ce qui ne va pas pour que le collaborateur se sente à l’aise pour s’exprimer. Cela permet aussi de dédramatiser l’entretien de fin d’année et d’éviter les effets de surprise. Par ailleurs, une approche de la gestion des performances qui se concentre sur le moyen d’aider les individus à développer leurs compétences est bien plus saine et retient plus facilement les talents. Développez leurs points forts et aidez-les à explorer de nouveaux domaines de compétences afin qu’ils puissent contribuer différemment. Séparez les moments où vous abordez la performance et ceux où ce sont les plans de carrière et de développement qui sont discutés.
L’impulsion des RH
Les ressources humaines ont également un rôle essentiel, elles doivent faire du lobbying en interne en impulsant cette nouvelle pratique pour transformer les évaluations en processus vertueux et sains, notamment en développement une culture de développement du leadership. Les formations doivent être orientées vers l’acquisition de compétences de feedbacks, de self assessment et de définitions d’objectifs individuels par les collaborateurs eux-mêmes. Une grille d’évaluation liée aux valeurs et à la culture de l’entreprise est aussi un outil à développer dans les entreprises : engager et manager en fonction de ces valeurs est plus réaliste. C’est le cas chez Zappos ou chez Ugg Shoes notamment.
Le manager de demain est un manager coach : un manager capable de comprendre une situation à temps T d’un collaborateur tout en envisageant son potentiel de développement à moyen et court terme. L’évaluation, aidée du feedback continu, doit désormais s’inscrire dans cette dynamique : une photo du présent certes, mais remise dans un contexte plus large où la performance liée à des objectifs chiffrés et quantitatifs est associée à la capacité du collaborateur à développer ses “soft skills”.
Courrier cadres
Mercredi 1 juillet 2015, par La Rédaction